Forêt Noire – Le Sacré

Extrait de ma dernière séance d’écriture fictionnelle ✍️

« Ce que vous devez comprendre Mavikana, c’est que les lieux et les êtres de cette terre d’Afrique ont été sanctifiés à travers un ensemble de rituels effectués depuis l’aube des temps. Tous les êtres de cette terre ont été mis en résonance avec l’invisible, afin que tout soit en lien avec tout : l’homme avec son milieu, l’homme avec ses ancêtres, l’homme avec l’Être Suprême que l’on ne nomme pas. C’est ainsi que certains gestes de la vie quotidienne furent consacrés et certains évènements commémorés, afin d’entretenir ce lien vital et transcendant. »

En faisant cela, le vieux Oreya se leva de sa chaise et versa quelques gouttes de rhum sur la terre humide.

« Pour les ancêtres », dit-il en laissant un silence de quelques secondes s’inviter entre eux, un silence qui semblait insuffler une teneur mystique et poétique à l’acte – symbole qu’il venait de poser…

« Le problème, reprit-il après avoir dégusté quelques goutes de rhum, est que la résonance avec le monde de l’invisible se perd car le sacré est bafoué. Un lieu sacré profané, à l’instar de ce qui s’est récemment produit, c’est un portail qui se ferme pour toute une communauté. C’est un moyen d’accès à tout un patrimoine immatériel qui est ainsi condamné, c’est la mémoire de tout un espace qui s’éteint et tout cela n’est pas sans conséquences… L’équilibre entre le visible et l’invisible se maintiendra, de gré ou de force… »

En entendant cela Mavikana songea aux prétendus actes de sorcellerie qui avaient récemment défrayé la chronique et placé le gouverneur de la province au centre d’accusations qui jusqu’à lors n’avaient été étayées par aucune preuve recevable par le parquet, outre les déclarations de quelques villageois sur la base de ce qu’il leur était soi-disant apparu « en rêve ».

Quelle était l’opinion du vieux Oreya sur la question ? Mavikana n’osait pas le sonder, de peur de se heurter à une vision du monde qu’il ne se sentait pas en mesure d’assimiler. Le vieil homme semblait cheminer sur le sentier étroit de concepts paradoxaux sensés s’annuler entre eux, afin de supposément dépasser des antagonismes de surface : mais que restait-il des concepts de bien et de mal ? Tout d’un coup, Mavikana se remémora les paroles de sa grand-mère :

« Tu analyses tout par le prisme de la dualité, de la raison… Que pourra te dire la nature si tu enfermes son expression dans les limites de ton langage étroit d’Africain formaté à la logique occidentale binaire ? Il faut t’ouvrir au sensible, ainsi les lieux te raconteront leur histoire, ils te diront ce qu’ils auront à te dire… Tu n’auras plus peur d’entendre certaines paroles, car leur écho t’interpellera plus que leur forme. Au commencement n’était pas le Verbe, au commencement était l’esprit du Verbe. “

Modèle photo Michel Ndaot

Copyright 2019 © David Mboussou

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