Un film africain dans le débat global : Afrotopia et la réappropriation des imaginaires

Mon séjour à Boulder m’a permis de mesurer concrètement la circularité d’Afrotopia et, plus largement, le potentiel du cinéma africain à résonner hors de ses territoires d’origine. Avant de venir au Colorado, une question me travaillait en silence : mon film, profondément ancré dans le Gabon et le Bassin du Congo, serait-il perçu comme un objet lointain, sans prise possible avec un public non africain, ou pourrait-il créer de vrais ponts, comme nous avons nous-mêmes longtemps accueilli des récits venus d’ailleurs ?

La projection d’Afrotopia a eu lieu au Dairy Arts Center de Boulder dans une salle pleine. Ce n’était plus le cadre ciblé de l’Université du Colorado Boulder, mais un espace ouvert au public, avec des spectateurs aux sensibilités variées, dont beaucoup déjà attentifs aux questions d’écologie, de luttes territoriales des peuples premiers et d’usages des plantes sacrées dans leurs contextes culturels d’origine. L’accueil a été chaleureux, attentif, et les échanges ont montré que le film pouvait toucher bien au-delà de son point de départ gabonais.

J’ai été particulièrement marqué par les réactions de spectateurs d’origine amérindienne. La stigmatisation des pratiques spirituelles africaines, au cœur d’Afrotopia, a fait écho à leur propre histoire, marquée par l’interdiction de certaines cérémonies jusqu’aux années 1970. Sans confondre des réalités différentes, ces parallèles rappelent l’existence d’expériences communes entre peuples dont les cultures sacrées ont été diabolisées, marginalisées ou criminalisées. De là naît la possibilité de solidarités nouvelles, notamment parmi les jeunes du Sud global qui cherchent à décoloniser leurs imaginaires et à inventer des futurs moins soumis aux injonctions hégémoniques d’une partie de l’Occident.

Mais le film ne se limite pas à sa dimension décoloniale. Il touche aussi des personnes simplement sensibles à la relation à la terre, à la mémoire, à la famille. Plusieurs témoignages l’ont montré, notamment celui d’une artiste américaine émue par la façon dont le film lui a rappelé son propre attachement au territoire.

Cette rencontre avec le public de Boulder a été rendue possible grâce à plusieurs relais. Parmi eux, Philip Wolf, figure engagée dans les débats contemporains autour des plantes sacrées, a contribué à mobiliser des personnes déjà attentives à ces enjeux.

J’ai également pu rencontrer Lia Mix, spécialiste du système de santé américain, qui s’intéresse particulièrement à l’ibogaïne et à sa place dans les discussions sur les usages thérapeutiques des psychédéliques. Le fait qu’Afrotopia évoque l’iboga dans son contexte cérémoniel et culturel d’origine a ouvert un espace de dialogue plus large sur la manière dont ces plantes sont souvent sorties de leurs écosystèmes naturels et symboliques, au risque de dissocier la ressource de la culture qui l’a portée.

La rencontre avec Connie Clark a été tout aussi significative. Chercheuse en écologie ayant travaillé en Afrique centrale, notamment en forêt profonde auprès des communautés dites pygmées, et vivant aujourd’hui dans le Colorado, elle incarne à elle seule un pont entre ces deux territoires. Sa trajectoire met encore plus en évidence la possibilité d’un réseau d’interlocuteurs capables de contribuer à militer en synergie avec le Gabon, dans des espaces internationaux, pour la préservation et la valorisation de la forêt gabonaise. Car défendre et valoriser l’iboga sans défendre et valoriser l’écosystème naturel auquel il est intimement lié, ce serait isoler un enjeu spécifique d’un enjeu plus large qui touche à la protection de la forêt du Bassin du Congo et des cultures qui y vivent. À cet effet, je remercie le Professeur Guy Rossatanga-Rignault pour la mise en relation avec Connie Clark.

De ce séjour, je repars aussi avec des perspectives très concrètes pour la suite de la vie du film. J’ai reçu une invitation à présenter Afrotopia dans des contextes où se discutent l’usage des plantes sacrées, aux croisements des dimensions juridiques, culturelles, spirituelles, économiques et environnementales. Le Professeur Lissell Quiroz m’a également invité à venir présenter le film à Cergy, en France, dans un cadre où les questions de métissage, de décolonialité et de diversité sont particulièrement présentes parmi les publics issus de l’immigration. Par ailleurs, grâce au travail et à la confiance du Professeur Odome Angone, une projection est en préparation au Musée des Civilisations Noires de Dakar, lieu symbolique pour penser la circulation et la réappropriation des patrimoines africains à l’échelle du continent et au-delà.

Au fil de ces étapes, Afrotopia confirme sa vocation à être plus qu’un long-métrage isolé. Le film aide à mettre en évidence un réseau de partenaires autour de sujets communs, à créer des synergies entre chercheurs, artistes, militants, institutions culturelles et communautés locales. C’est l’une des forces du narratif : relier des enjeux qui sont souvent traités séparément, et rendre visibles les liens entre les acteurs qui portent ces questions, en local comme à l’international.

La question de la distribution et de la vie économique du film reste ouverte, mais la stratégie qui se dessine est organique. Nous avançons d’un public à l’autre, d’un territoire à l’autre, en veillant à ce que chaque projection soit aussi un espace de réflexion sur l’identité, l’écologie, la décolonisation des imaginaires, les enjeux du Sud global et la place des savoirs ancestraux dans le monde contemporain. Afrotopia participe au récit d’un territoire et d’une région – le Gabon, le Bassin du Congo, les peuples bantous et pygmées – tout en cherchant à rencontrer l’humanité au sens large, au-delà des clivages de couleur, de religion ou de nationalité.

Je remercie à nouveau l’Université du Colorado Boulder, et en particulier la Professeure Leila Gomez, pour son invitation dans le cadre du RIO Seed Grant “Global Indigenous Film and Land Struggle”, ainsi que pour l’espace d’expression, de promotion, d’amplification, de réseautage et de légitimation offert à Afrotopia et aux sujets qu’il porte. C’est aussi par ce type de rencontres que le film continue de vivre, de grandir et de trouver sa place dans les débats de notre temps.

David Mboussou

Plus d’infos à propos d’Afrotopia sur : https://www.mavikanaproductions.com

Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=fo6yW7OPBbE&feature=youtu.be

Présentation du réalisateur : https://www.youtube.com/watch?v=gty0PculB7U&t=2s

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